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Episode 2

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Le cavalier rouge

Terres e-maginaires, terresemaginaires, littérature, steampunk, fantastique, la ville qui retint la mer, épisode 2, Keris

         Le temps passait et Morgane ne bougeait pas de la plage. Elle restait assise sur le sable, face à la baie et à la digue qui la fermait. Le soleil sécha la tunique qu’elle portait pour nager. A la voir ainsi, dans cette tenue simple, ses longs cheveux détachés pour sécher à l’air libre, les promeneurs qui passaient plus loin la prenaient pour une habitante parmi les plus pauvres. Ces derniers n’avaient en effet pas adopté les tenues de bain très couvrantes qui avaient fait leur apparition quelques années plus tôt et qu’ils ne pouvaient pas s’offrir, et ils continuaient de se baigner nus comme tous l’avaient toujours fait avant cet accès de pruderie. Morgane préférait cette liberté, plutôt que de se faire reconnaître comme la princesse de la cité avec toutes les contraintes que cela impliquait.

         Marchant sur la plage, Edouard la reconnut cependant de loin, familier de sa silhouette et de ses manies fantasques. Il hésita à continuer son chemin et la laisser tranquille, ou bien la saluer comme il convenait. Mais il se dirigeait vers elle avant de s’être décidé consciemment. Ils ne s’en rendaient pas compte, mais ils s’affrontaient si souvent à tout propos, que c’était devenu une habitude d’aller l’un vers l’autre. Il était attiré par elle comme par une contrariété sur laquelle on s’acharne. Trop de choses l’irritaient chez elle pour qu’il reste indifférent. Trop de choses qu’elle se permettait, sans manifester d’ambition politique pour autant ; elle se donnait trop de libertés, en se faisant paradoxalement passer pour une femme du peuple, comme à présent, où elle laissait voir trop d’elle par cette tunique simple et souple ; elle se laissait voir décoiffée et débraillée, et elle restait magnifique, et personne ne la reconnaissait, et elle échappait à tous les reproches qui auraient dû la reprendre... Il s’arrêta près d’elle, alors assise en tailleur et les yeux fermés. Elle était probablement en train de rendre hommage à la mer comme le faisaient les adeptes de ce culte. Encore une chose qui l’énervait, mais il conserva un ton respectueux en la saluant par son titre, tout en retirant son haut de forme.

         Au regard qu’elle eut en ouvrant les yeux, il comprit qu’il n’interrompait pas une méditation apaisée, mais une intense réflexion en pleine effervescence.

         « Bonjour, Edouard », répondit-elle doucement, amenant plus de familiarité par son prénom, mais avec le sérieux voulu pour annoncer une intention respectueuse.

         « Pardonnez-moi si je vous dérange, je me demandais si vous étiez en train de prier, mais je n’allais pas passer sans vous saluer comme il se doit...

         — Non, je ne priais pas. Je n’en ai pas besoin. »

         Agréablement surpris, il pencha la tête de côté.

         « Je ne dois pas bien comprendre, observa-t-il. Je crois pourtant savoir que vous pratiquez ce culte...

         — J’y participe, oui. »

         Elle n’avait pas à pratiquer le culte qui rendait hommage à la mer, puisqu’il lui était adressé… Elle y participait en ce sens-là, mais ne pouvait décemment pas le dire. Edouard sentait que quelque chose lui échappait. Mais il devinait justement quelque chose qu’il n’aurait pu exprimer, il sentait que quelque chose en Morgane échappait à toute explication acceptable, une chose qu’il pressentait depuis bien longtemps et qui restait indicible.

         « En réalité, j’y vais surtout pour leur marquer mon soutien. Vous voulez peut-être vous asseoir ? proposa-t-elle en posant la main sur le sable.

         — Merci, refusa-t-il. Alors vous soutenez à la fois les recherches scientifiques et le culte à la mer qui s’oppose au progrès ?

         — Il ne s’oppose pas au progrès, mais à la prétention de l’industrie de dompter la nature. Il considère que c’est dérisoire, car les forces naturelles sont indomptables, et que c’est sacrilège, car comme ces forces sont indomptables, elles sont divines.

         — La science nous montre pourtant bien qu’elles sont maîtrisables. Dompter la nature n’est pas une prétention, c’est un fait. »

        Il s’assit alors, avec une certaine satisfaction. Observant toujours la digue, Morgane releva légèrement le menton comme si la remarque l’avait touchée dans sa fierté.

         « Et puis c’est vous qui le dites, que le culte à la mer s’oppose seulement à l’industrie et pas au progrès, continua Edouard. C’est peut-être votre conception de ce culte, mais pour ses adeptes et d’ailleurs pour tout le monde, science et industrie sont indissociables.

— C’est l’erreur de l’époque…

— Et il y a donc bien à Keris deux tendances générales qui s’opposent.

        — On ne peut pas réduire une situation à deux camps distincts. Les positions individuelles nuancent les choses. Reconnaissez à votre tour que tout est possible dans ce bazar, c’est d’une belle complexité. Même chez les industriels, il y a des curieux de magie qui se livrent à l’occultisme, à l’hypnose, qui s’amusent à faire tourner les tables…

— Ne m’en parlez pas, fit-il en levant les yeux au ciel.

       — Quant au culte à la mer, il perdure depuis des siècles à Keris. Je le soutiens car les habitants doivent conserver le droit de le pratiquer.

       — Mais pas seulement, n’est-ce pas ? On dirait bien que vous êtes d’accord avec eux sur la question de l’industrie, de sa prétention dérisoire et sacrilège…

       — Nous y revoilà. Voyons, nous savons tous deux qu’aucun de nous ne convaincra l’autre », lui sourit-elle.

       Il sourit en retour, au souvenir des débats houleux qu’ils pouvaient avoir à propos de tout et qui ne changeaient en rien leur avis. Morgane se demandait s’il comptait lui parler de la découverte qu’il venait de faire à peine une heure plus tôt, juste après le cours de natation de sa fille, à savoir que si les défenses de son chantier naval avaient lâché aussi facilement face aux vagues, c’est parce qu’elles avaient été sabotées.

         Quand il avait plongé pour vérifier leur état, Morgane avait donc appris ce qu’il avait découvert tout en restant assise sur la plage. Elle le connaissait, il pensait forcément qu’elle était la coupable, qu’elle l’avait soit fait soit commandité. Il y pensait sans doute en ce moment même. Elle attendit, comprit qu’il n’en parlerait pas et arriva à la conclusion que s’il ne profitait pas de l’absence du roi pour s’expliquer directement avec elle, c’est qu’il espérait prouver sa culpabilité plus tard. C’était peut-être pour cela que leur conversation restait si paisible. Alors, curieusement, elle apprécia encore mieux l’instant.

        Sous ce soleil radieux, face à la mer étincelante qui retrouvait son humeur habituelle après la tempête, il était plutôt temps de s’accorder une pause entre les hostilités. Tandis qu’ils profitaient de cet instant de calme, ils n’oubliaient pas pour autant de quoi était faite leur relation. Ils n’oubliaient pas que la veille encore, Morgane admirait la mer détruire les chantiers d’Edouard ; mais pour le moment, ils étaient capables de s’asseoir côte à côte et d’observer la même chose. Ils auraient bien de quoi s’affronter plus tard, comme toujours.

​

*

 

         L’homme en rouge avait préféré venir à Keris à cheval, malgré le confort qu’il aurait pu s’offrir par chemin de fer. Il voulait entendre ce qui se disait à propos de la cité dans les villages avoisinants à mesure qu’il en approchait. Il pouvait aussi, de cette façon, laisser voler à leur guise les trois oiseaux qui l’accompagnaient.

         Keris lui apparut en contrebas. Vue depuis les collines environnantes, la ville semblait s’étendre entre deux remparts : la digue protégeant de l’océan, et les murailles du côté des terres. Le fleuve la traversait de biais, avant de longer la côte pour se jeter dans la mer au sud de la digue.

         Le cavalier n’avait quasiment pas de bagages. Pour ce voyage de plusieurs jours par cette chaleur, il avait adopté une tenue pratique de campagne, avec une veste paysanne sans manches sur une chemise rouge, et un chapeau à larges bords auquel il avait fixé trois plumes. Keris attirait beaucoup de visiteurs étrangers, et quand il passa les portes de la ville, les agents de police en faction n’accordèrent pas plus d’attention à sa peau cuivrée qu’aux autres passants.

        Il confia son cheval et ses affaires à une hôtellerie, et partit à pied se mêler au tumulte citadin. Tranquillement, il se promena dans les rues, traînant dans tous les styles de quartiers, s’arrêtant parfois à l’injonction d’un vendeur à la criée pour échanger quelques mots. Il écoutait d’un air distrait les conversations autour de lui, les domestiques au marché, les marins au port, les familles sur les promenades des plages, les riches figures de la ville qui se retrouvaient dans les parcs.

         Il marcha pendant des heures. Il ne vagabondait pas, il parcourait minutieusement la cité, aussi bien sur les grands boulevards qu’au fond des petites ruelles, pas tant pour la géographie de la ville que pour saisir l’humeur et la mentalité de ses habitants. Ce promeneur nonchalant écoutait en réalité avec attention toutes les paroles qui passaient à sa portée. Il lut chaque journal du jour. Il arpenta Keris dans tous les sens pour capter tout ce qui pouvait s’y raconter.

Trois oiseaux faisaient de même pendant ce temps.

       La mouette, sur les plages et dans les ports, le corbeau, dans les rues populaires et aux bordures boisées de la ville, s’approchaient des habitants comme s’ils espéraient de la nourriture, et restaient à rôder autour de ceux qui tenaient les discussions les plus révélatrices.

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         Quant au moineau, il se faufilait partout. A une terrasse de café, il picorait les miettes d’une table à côté de diplomates discutant trahison, de financiers qui parlaient arnaque, d’amants planifiant leur fuite ; perché sur les poutres des écuries, des lavoirs, des ateliers ouverts sur la rue, il voisinait les domestiques et les artisans ; mais c’était tout simplement sur les rebords de fenêtres qu’il en apprenait le plus.

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         Il allait aux plus grandes maisons, les plus fastueuses et les mieux entretenues, là où se trouvaient les personnes les plus influentes de Keris, les entendait dans leur vie privée, dérobait les avis sincères qu’ils lâchaient en se croyant à l’abri entre leurs murs.

        Puis, quand l’homme en rouge s’arrêta enfin sur une plage pour regarder la mer, la mouette, le corbeau et le moineau le rejoignirent, pour lui croasser et lui pépier ce qu’ils avaient découvert.

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*

​

« Morgane, tu ne m’écoutes pas, constata doucement Gautier.

         — Mmm ? Pardon », fit-elle en le regardant dans les yeux pour lui montrer qu’il avait son attention.

        Il arrêta de tourner en rond dans la pièce et se rapprocha d’elle, assise dans un fauteuil. Alors qu’ils discutaient des mesures à prendre suite aux révélations de l’espion interrogé le matin, il avait remarqué que Morgane semblait ailleurs, le regard dans le vague.

« Je crois que j’ai décroché quand tu parlais du fleuve », dit-elle flegmatiquement.

         Comprenant qu’elle n’avait pas envie de partager ses pensées, il l’observa un instant pour deviner ce qu’elle avait en tête.

         Elle ne lui en parlerait certainement pas. Elle était concentrée sur Edouard qui, comme tous les jours, nageait en mer au-delà de la zone de formation des vagues. Et elle hésitait. Depuis les fonds, elle avait fait remonter une méduse mortelle et la maintenait quelques brasses en-dessous de lui. Elle réfléchissait, ne se décidant pas à la lui envoyer pour terminer pour de bon leurs incessants conflits. La méduse restait au même niveau, presque immobile, ses tentacules d’une blancheur vaporeuse, fatals, flottant lentement dans le courant comme une chose endormie. En surface, Edouard continuait ses exercices, inconscient du danger qui pouvait venir l’enlacer.

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         Et Morgane attendait. Elle ne savait quoi. Quelque chose pour la décider. Elle reconnaissait qu’il avait raison de se considérer comme le meilleur nageur de Keris. Elle ressentait la présence et les mouvements de tous les êtres dans la mer, et personne ne nageait aussi bien, pas même Gautier. Elle appréciait beaucoup ces entraînements d’Edouard, mais elle était aussi convaincue qu’elle ne devait pas s’arrêter à ce plaisir. Elle appelait ainsi, régulièrement, la méduse à s’approcher de lui, mais ne s’était jamais résolue à en finir.

« Je t’écoute, dit-elle à Gautier.

         — Le fleuve. Puisque c’est de l’eau douce et que tu ne peux donc pas me dire ce qui s’y passe, je dois y faire particulièrement attention. Je vais devoir faire appel aux espions d’Edouard et…

          — Edouard ? Son réseau est si efficace que ça ? s’étonna-t-elle contrariée en se redressant sur son siège.

        — Oui. Il fait venir une grande partie de son matériel par le fleuve, et il a développé sur tout le chemin un réseau avec ses ouvriers. C’est surtout de l’information, mais ils vont parfois jusqu’à engager des actions pour saboter et contrer les projets ennemis. Je croyais que tu le savais.

— Oui, mais je ne savais pas que tu le trouvais bon au point de l’utiliser toi-même.

       — Oh si. Je sais que tu n’aimeras pas ce que je vais dire, mais il faut que tu saches que la paix de Keris a aussi besoin d’Edouard. Tu nous défends par la mer, et lui du côté des terres. Tu dois bien lui reconnaître ça.

— Alors, qu’il se charge de son côté. La mer est à moi. »

Elle se leva et marcha à son tour d’un pas agité dans la pièce.

       « Je lui donnerai de quoi s’occuper. On verra ça plus tard », décida Gautier en voyant dans quelle humeur cela la mettait. Elle le remercia d’un signe de tête et sortit.

      Une vague de colère monta en elle comme elle prenait conscience que sa ville dépendait aussi d’Edouard. Mais au moins, elle avait à présent une bonne raison de le laisser en vie. Elle renvoya la méduse dans les profondeurs. Elle devrait le contrer autrement, à travers ses projets et ses actions. Et comme elle savait désormais que c’était le seul moyen, elle s’y résolut plus que jamais.

 

*

 

         L’homme en rouge se leva et s’avança vers la mer. Les bris d’une vague parvinrent jusque devant ses pieds. Il se baissa et posa une main dans l’eau, paume sur le sable, puis l’eau reflua, dans son incessant mouvement. Il resta accroupi, attendant une réponse. Ce simple contact, comme une poignée de main, devait suffire. A la vague suivante, l’eau monta plus haut et avec plus de force. Il se laissa submerger, ressentant la surprise et la joie émanant du flot qui venait le caresser. La mer l’avait reconnu.

      Morgane courut à son balcon avec un rire stupéfait, n’osant y croire, et elle scruta les oiseaux qui tourbillonnaient au-dessus de la côte. Bientôt, une mouette approcha et se posa sur la balustrade. Morgane se pencha vers elle, lui dit quelques mots, puis l’oiseau repartit.

 

*

​

         Alors qu’ils accueillaient les quelques invités de leur diner, Gautier jeta un coup d’œil à Morgane à son côté avec un sourire satisfait. Il savait distinguer son amabilité mondaine de sa joie sincère, et ce soir-là, elle rayonnait. Elle changeait facilement d’humeur, de la tempête à la mer d’huile, et il demandait rarement pourquoi. Tout ce qu’elle savait par ses flots à chaque instant lui donnait des milliers de raisons d’avoir des réactions différentes. Elle perçut son regard et cette fois, elle lui expliqua :

« Un ancien ami vient nous voir ce soir. Je lui ai dit de nous rejoindre.

— Nous ? Je le connais ?

— Tu l’as vu une fois, il y a très longtemps. Quand je t’ai donné Keris. »

       Ils s’interrompirent pour saluer d’autres invités qui arrivaient. Puis, au sourire de Morgane, Gautier devina que le suivant était celui qu’elle attendait. Son sourire était plus faible, mais en la voyant, son regard fatigué s’éclaira d’une lueur complice. Il s’inclina en les saluant et en les remerciant par les formules officielles. Et seul Gautier, la personne la plus proche de Morgane, pouvait remarquer que, malgré son élégance impeccable, l’invité avait, comme elle, quelque chose d’un peu sauvage dans sa façon d’être, comme s’il savait qu’il ne faisait que tenir un rôle. Il lui rappelait effectivement quelque chose, et comme ces quelques secondes passaient, Gautier était de plus en plus persuadé de l’avoir vu dans un tout autre contexte qu’une soirée de château.

« Voici Théodore Clyde Veïec, présenta Morgane. Tu te souviens peut-être de lui… »

         La mémoire lui revint : Théodore faisait partie de l’entourage de Morgane quand elle l’avait aidé à s’imposer comme roi de Keris, dans leurs combats et leurs complots.

« Depuis tout ce temps… Ça alors, vous n’avez pas changé… s’étonna Gautier.

— Morgane non plus », répondit-il sans paraître surpris, comme si c’était normal.

       Gautier comprit alors quelque chose comme une révélation. A l’époque, il l’avait simplement pris pour un des fidèles de Morgane, mais à présent qu’il le voyait inchangé, et lui répondant par un parallèle avec elle, il devina que les deux étaient sûrement de même nature, à savoir la nature elle-même. Comme Morgane, son regard semblait, d’une façon impossible, plus âgé que ne le laissait croire sa physionomie. Gautier se sentit aussitôt flatté de recevoir sa visite, puis l’angoisse le gagna la seconde d’après. Si Théodore était venu la dernière fois pour l’aider à gagner le pouvoir à Keris, que signifiait cette visite-ci ?

« Et qu’est-ce qui vous amène parmi nous ? demanda-t-il.

        — L’Histoire, toujours, où que j’aille. Je sens quand des changements sont sur le point de se produire, je sens que Keris est à un tournant de son histoire, dit-il d’une voix légèrement traînante. Je veux voir ça. Le comprendre, en tant qu’historien.

— Oh, et quel genre de changements ?

         — Il semble qu’il s’agisse du développement industriel. Votre cité est très active dans ce domaine, et son évolution va vraisemblablement prendre une nouvelle direction.

— Laquelle ?

— Je ne connais pas non plus l’avenir, nous verrons bien.

       — Dommage qu’Edouard Des Urtini ne soit pas là, vous auriez pu en discuter avec lui. Vous êtes historien, dites-vous ?

         — C’est cela. D’ailleurs, je profiterais bien de mon séjour pour consulter les archives de la ville, pour nourrir ma réflexion.

        — Bien sûr. C’est un plaisir de voir l’intérêt que nous portent les esprits cultivés à travers le monde », dit-il avant de se tourner vers les invités suivants.

       Théodore s’éloigna dans le salon de réception. Pour Gautier, il était évident que Morgane, tout en s’adressant aux autres convives, ne pensait qu’au nouvel arrivé. Elle gardait toujours la tête légèrement tournée dans sa direction, comme si elle cherchait à le garder dans son champ de vision. Et lui faisait de même.

       Au dîner, il prit peu la parole, mais ses interventions captivèrent les invités. On l’interrogea sur certains faits historiques, et lorsqu’il se mit à en raconter, ils étaient transportés dans la situation qu’il décrivait. On aurait cru qu'il avait vu de ses propres yeux ce dont il parlait, et Gautier devinait que ce n’était pas qu’une impression.

       Il pouvait aussi prédire que le manque de retenue de Morgane ferait jaser, encore une fois. Elle dévorait Théodore du regard, et après le dîner, elle n’accorda ses danses qu’à lui. Mais ils ne se parlaient pas, comme si tout ce qu’ils auraient pu se dire devait rester secret. Ce ne fut qu’au bout de plusieurs danses, quand tous se trouvaient plus détendus, ne les observaient plus avec attention et retournaient à des conversations plus ordinaires, qu’ils échangèrent quelques mots en parlant bas pendant une valse.

         « Alors te voilà princesse de Keris. Je trouve ça rabaissant. Tu en es la reine. Tu devrais soit te présenter comme telle, soit, si tu veux te décharger du gouvernement, rester libre et incognito. Pourquoi acceptes-tu de jouer ce personnage ?

         — Gautier m’a suppliée de rester avec lui le jour où Magven est morte en couches avec leur enfant.

— Comment est-ce que vous avez construit ce rôle ?

        — Eh bien, ce jour-là. Il a fait croire que l’enfant avait survécu, et qu’il en confiait l’éducation à un pensionnat qu’il garderait secret. Je lui ai promis qu’il pourrait me présenter comme sa fille vingt ans plus tard. Comme ça, la population ne connait pas mon éternelle jeunesse. En attendant, on se voyait très souvent mais je vivais de mon côté, pas seulement à Keris, d’ailleurs.

— Et ça te convient ?

— Tu sais très bien que j’adore vivre avec les humains.

— Dis-moi que je t’ai manqué quand même.

         — Evidemment, dit-elle en se rapprochant encore plus de lui. Et toi, dis-moi ce qui t’amène vraiment ici. Tu viens seulement rendre visite ou…

— Non », murmura-t-il avec regret.

Le sourire de Morgane retomba légèrement.

         « Quand je disais que je sens Keris à un tournant de son histoire, ce n’est pas tout à fait vrai. Ce que je sens, c’est au contraire que la situation de Keris ne peut pas durer, et je ne viens pas en tant qu’historien qui veut être témoin des événements, mais pour changer cette situation. Je viens à cause de ce que je suis, de mon rôle dans l'ordre du monde. J’ai senti qu’il fallait que j’intervienne ici, et en parcourant la ville j’ai trouvé quel est le problème.

— Et qu’est-ce que c’est ? s’inquiéta-t-elle, ayant perdu tout sourire.

— Je ne le dirai pas ici. Dis-moi comment te rejoindre.

— Dans mes appartements, par le passage que tu connais. »

      Une fois Théodore parti, Gautier dut retenir Morgane pour qu’elle reste dire au revoir aux autres invités. Puis il n’y eut plus qu’eux deux et les domestiques qui rangeaient. Ils traversaient un salon pour retourner à leurs appartements, quand soudain, le cœur de Gautier se serra, sa tête le brûla, altérant sa vision. Cela ne dura pas plus de deux secondes avant de s’estomper. Il retint Morgane par le bras.

« J’ai un pressentiment... Reste », murmura-t-il.

        Elle le regarda attentivement, prenant au sérieux ce qui pouvait bien le troubler, puis elle sourit en posant la main sur sa joue.

« Ne t'en fais pas. »

Elle reprit son chemin. Elle n’avait pas compris qu’il ne s’inquiétait pas pour elle.

 

*

​

         La peau et les baisers de Morgane avaient un goût salé. En se retrouvant seuls, la princesse et son cavalier s’étaient jetés dans les bras l’un de l’autre avant même de discuter. Ils heurtèrent un meuble et elle s’y assit. Tout en s’embrassant et se caressant l’un l’autre, il glissa les mains dans les cheveux de Morgane et défit les épingles qui retenaient sa coiffure. Ils tombèrent en flots ondoyants sur sa robe bleue avec les mêmes reflets dorés que ceux du soleil sur la mer. L’impatience de Théodore augmenta quand il tenta de défaire le corset serré au laçage difficile.

« Rhâ, pourquoi est-ce que tu acceptes de porter une chose pareille ?

— C’est pour les apparences. Je n’en mets qu’en certaines circonstances.

         — C'est quand même un signe du problème pour lequel je viens. Tu n’as pas à te laisser imposer quoi que ce soit.

— Quoi, qu’est-ce que... Dis-moi pourquoi tu es venu.

— Après.

— Non... maintenant », chuchota-t-elle en interposant sa main entre leurs bouches.

         Pendant un instant, il la regarda d’un air béat, avec le sourire d'un homme ivre.

         « Morgane, ma chérie… Tu n’as pas l’air de te rendre compte de ce que ta ville est devenue. Tu as construit la digue pour protéger Keris, mais ses habitants la voient maintenant comme… une victoire sur la nature. »

Elle eut un mouvement de recul indigné.

         « Je peux comprendre que tu ne le perçoives pas, poursuivit-il. Tu vis avec eux, et il faut de la distance pour prendre conscience des choses. C’est pour ça que je viens t’avertir que ce qui règne dans ta ville à présent, c’est la volonté des industriels d’asservir la nature. Mais tu as bien dû remarquer certains travaux qui nous insultent de façon flagrante. Ces chantiers permanents de bateaux pour dominer la mer, pour commencer. Et ces machines, toutes ces machines, qui cherchent à maîtriser les éléments. Les inventeurs, les commerçants, petits et importants, et même les politiciens, ils ne parlent que de ça, ils veulent en faire le futur. Il y a un nom qui ressort souvent, d’ailleurs : Des Urtini...

— Je vois. Je suis bien consciente du problème.

         — Ils travaillent même à domestiquer la foudre ! Je suis allé en bordure de la ville : des pans de forêt entiers ont été rasés pour des usines, et ils continuent d’en abattre toujours plus. Ils prétendent qu’ils peuvent prendre le contrôle de la nature, qu’ils peuvent nous maîtriser… Et ils ne voient plus pourquoi ils continueraient de nous rendre hommage, puisqu’ils nous auront bientôt enchaînés. Et toi, ma chérie, ton culte décline.

         — Et je le regrette. Mais tu voyages tout le temps, tu dois bien savoir que c’est un esprit général qui parcourt le monde aujourd’hui, alors pourquoi venir ici précisément ?

         — Parce qu’il est plus fort ici. Keris leur montre l’exemple, les encourage et les inspire pour nous dominer, nous ! Tu ne peux pas laisser ta ville dire ça au monde. Nous sommes indomptables. Irrépressibles.

— Je suis d’accord.

— Alors qu’est-ce que tu attends pour le leur rappeler ?

— Mes tempêtes le font régulièrement.

       — Ça ne les décourage pas. Ils se sont habitués. Morgane, tu t’es endormie. Il faut cibler les personnes qui dirigent ces projets et cette mentalité.

— Comme Edouard Des Urtini, je sais. Je combats son influence sur Gautier, je ne dors pas.

       — Mais des hommes comme Des Urtini, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Ce n’est pas vraiment lui le problème. Le problème, c’est que le roi l’écoute. Si Des Urtini mène ses projets à bien, c’est parce que le roi le laisse faire. On n’en serait pas là si Gautier gouvernait autrement. C’est lui le nœud du problème. »

Les yeux de Morgane s’agrandirent sous l’inquiétude. Elle commençait à comprendre.

         « Je le tempère, assura-t-elle. Je l’empêche de suivre aveuglément les avis d’Edouard. Et j’empêche certains projets d’aboutir. Pas plus tard qu’hier, j’ai détruit leurs bateaux.

— Et c’est tout ?

— Tu ne peux pas dire que je ne fais rien.

— Mais ça ne suffit pas.

— Alors quoi ?

— Gautier a fait son temps. Tue-le. »

Ses mains se crispèrent sur les bras de Théodore. Elle secoua la tête.

         « Non... souffla-t-elle horrifiée. Non, non, répéta-t-elle plusieurs fois de plus en plus fort, d’un ton de plus en plus décidé. Non, je ne le ferai pas. Et aucun de nous ne peut commander l’autre. Mais puisque tu es si convaincu, pourquoi n’as-tu pas choisi de le faire de ton côté sans me consulter ?

— C’est ta ville, je ne peux pas y faire ce que je veux. C’est à toi d’agir.

— Et j’agirai différemment. Personne ne touche à Gautier.

— … Alors au moins ce Edouard. »

Elle baissa la tête d’un air contrarié.

         « Non plus. Il défend Keris du côté des terres, du côté qui m’échappe. Et s’il meurt, sa fille prendra la relève à la tête des industries. Elle est jeune, elle ne saurait pas faire autre chose que suivre les plans tracés par son père, ça ne changerait rien.

         — Peu importe comment tu t’y prends, je ne peux pas te commander. Mais tu sais bien que si je viens, tu as l’obligation de faire quelque chose.

— Oui, je sais. Je trouverai. Je trouverai », murmura-t-elle en reprenant ses caresses.

Il passa une main sur le cou de Morgane et l’éloigna légèrement pour la regarder droit dans les yeux.

« Je trouverai », promit-elle.

 

*

​

         Victoria sortit de la bijouterie avec un paquet sous le bras. Devant une vitrine voisine, Morgane et Théodore attendirent qu’elle soit éloignée pour la suivre à distance. Dans une petite rue déserte et sombre où le soleil matinal ne se déversait pas, Morgane ralentit l’allure.

« Il va en profiter, attends », dit-elle en arrêtant son compagnon.

         Il regarda dans la même direction qu’elle : il n’avait pas remarqué la seule autre personne présente dans la rue, qui restait dans l’ombre, un individu au long manteau, qui se mit à courir derrière Victoria.

         Le bruit des pas accélérant sur les pavés l’alerta, et elle se retourna au moment où il allait l’attraper par les cheveux. Elle esquiva sa main par réflexe et ils se retrouvèrent face à face. Il y eut une seconde d’hésitation.

        Théodore fit un pas en avant, mais voyant que Morgane s’était placée dans un recoin discret et observait calmement, il comprit qu’elle avait une idée en tête, et il se mit à côté d’elle pour regarder.

L’homme dégaina un pistolet et le braqua sur Victoria.

« Donne le paquet. Qu’est-ce que c’est ? Je t’ai vue sortir de chez un bijoutier avec. »

         La jeune femme recula d’un pas en frissonnant. Mais un seul pas. Elle le regarda en face et lui tendit prudemment le paquet, une boîte fermée par un ruban.

« Et le collier », ajouta l’homme alors qu’il n’avait pas encore attrapé le paquet.

         Elle eut un mouvement de recul, d’indignation cette fois, en ramenant vers elle son bras qui tenait la boîte, alors que l’homme tendait la main pour la prendre. Il écarquilla les yeux de surprise.

« Allez ! » aboya-t-il.

Elle sursauta et baissa la tête en bégayant :

         « Vous… Est-ce que… Vous ne savez même pas ce que c’est, dit-elle en montrant le paquet. Ça ne vous intéressera peut-être même pas.

— Ça m’étonnerait », ricana-t-il.

      Elle défit le ruban et ouvrit la boîte. Elle mit la main dedans alors qu’il s’approchait d’elle pour regarder. Situés derrière elle, Morgane et Théodore virent l’objet briller.

        Soudain, elle fit un geste fulgurant vers le bras de son agresseur. Il lâcha le pistolet en criant et plaqua sa main sur son poignet, où ruisselait un filet de sang. Victoria tenait un poignard à la main, qu’elle venait de sortir de la boîte.

       Il la regarda avec une colère stupéfaite. Elle fit un pas en arrière, gardant le poignard tendu devant elle, mais il s’approcha en même temps, l’air rageur.

         Elle jeta un coup d’œil de côté et recula lentement d’un pas dans cette direction. L’agresseur regarda : elle se rapprochait du pistolet qui avait glissé.

         « Oh-là, du calme », fit-il en craignant soudain ce que ferait une demoiselle dans la panique. Mais elle continua d’un pas. « Du calme », insista-t-il tout en dirigeant lentement sa main blessée vers sa hanche opposée.

          Victoria reconnut le mouvement, et se rendit compte qu’il portait une épée au côté, cachée par son long manteau. Elle fit un pas plus rapide, mais il dégaina alors son épée et se jeta sur elle.

         Elle n’avait pas eu le temps d’attraper le pistolet et se trouva à parer avec le poignard. C’était une défense de connaisseur, mais elle avait une lame beaucoup plus courte et elle poussa un cri de peur. Puis elle s’aperçut que sa blessure le gênait, et elle prit plus d’assurance. C’était précis, efficace, sans fioritures. Elle agrémenta son attaque d’un coup de pied au torse. Il recula.

Théodore hocha la tête avec un murmure appréciateur.

« Qui est-ce ? demanda-t-il à Morgane.

— Je te présente la fille d’Edouard Des Urtini. »

Il haussa les sourcils, agréablement surpris, et observa la suite avec plus d’intérêt.

       L’agresseur paraissait déterminé à ne pas en rester là. Il changea de main pour tenir son épée. Le combat les avait éloignés du pistolet, et quand il revint à l’assaut elle dut continuer avec son simple poignard. Mais il n’avait pas l’habitude d’escrimer de cette main et Victoria soutint le niveau.

« Tu comptes intervenir si elle se fait dépasser ? demanda Théodore.

— Ne t’inquiète pas, il doit seulement la tester... »

       Elle s’interrompit comme Victoria venait de se prendre un coup de coude au visage et chancelait. L’homme attrapa son pendentif et tira dessus brutalement pour casser la chaîne. Elle cria de douleur et porta la main à sa nuque. Ils s’immobilisèrent un instant. Il avait le pendentif et se demandait s’il devait continuer à présent qu’il avait obtenu ce qu’il réclamait.

Mais elle le fusillait du regard.

« Rends-le-moi ! » cria-t-elle.

         Elle l’attaqua avec tant de hargne qu’il voulut changer à nouveau son épée de main pour retrouver ses habitudes malgré sa blessure, mais elle ne lui en laissait pas le temps. Elle feignit alors un mouvement plus lent, pendant lequel il changea de main ; elle en profita pour bondir subitement contre lui et parvint à l’atteindre d’une estafilade sur le côté du cou. L’épée comme le collier lui échappèrent, et il recula en titubant contre un mur en se tenant la gorge. Haletante, elle le regardait d’un air furieux.

         « Laissez-la ! Vous allez bien, mademoiselle ? » demanda Morgane en trottinant vers eux, suivie de Théodore qui accélérait le pas en se dirigeant droit vers l’agresseur.

        Surprise, Victoria regarda autour d’elle comme si elle revenait à la réalité. L’homme s’enfuit à toutes jambes. La pression retombant, une larme roula sur la joue de la jeune femme.

« Vous êtes sous le choc… observa Morgane. Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Il vous a attaquée ?

— Oui… Pardon, bonjour, princesse, se reprit-elle en s’inclinant.

        — Ce n’est pas la peine pour le moment », répondit Morgane en lui relevant doucement le menton. Victoria se retrouva face au pendentif, que Théodore lui présentait.

« Merci, monsieur.

— Votre détermination était impressionnante. Vous devez beaucoup tenir à ce collier.

— Oui, il était à ma mère.

— Et le poignard qui sort d’un paquet de bijoutier, surprenant.

       — C’est parce que j’ai fait incruster une pierre dans le pommeau. Oh… fit-elle désappointée en voyant le sang qui perlait sur l’objet.

         — Au moins vous avez pu constater qu’il était efficace, dit Morgane. Se défendre avec ça contre une épée, c’est remarquable. Mais si je peux me permettre… ajouta-t-elle en ramassant l’arme abandonnée par l’agresseur, vous portez peut-être légèrement trop à droite. »

      Victoria ne put retenir un haussement de sourcils perplexe et légèrement hautain. Que savait une princesse du combat ? Et particulièrement Morgane, connue pour sa mondanité, ses extravagances, et dont les manières délurées faisaient grommeler nombre d’habitants ? Pour Victoria, la princesse était une capricieuse qui se permettait tout parce que rien ne pouvait la menacer réellement. Et voilà qu’elle lui donnait des conseils d’escrime ?

« Faites voir, ordonna Morgane en se mettant en garde.

— Je ne vais pas me battre contre vous. »

         A son ton trop bienveillant pour être vraiment poli, il était clair qu’elle ne refusait pas par respect pour son rang mais parce qu’elle pensait que la princesse n’avait pas le niveau. Morgane eut un sourire amusé et lança une attaque.

         C’étaient seulement des passes d’entraînement, mais Victoria y reconnut une réelle technique, et Morgane les enchaîna de façon à ne pas lui laisser de répit, tout en commentant certains points. Peu à peu, elle augmenta la difficulté et l’échange tourna en entraînement comme Victoria en avait l’habitude. La jeune femme dût reconnaitre que la princesse était bien plus forte qu’elle. Elle faisait tout avec une facilité déconcertante. Elle aurait pu la vaincre en un instant, elle faisait durer le combat pour l’entraîner. Ses remarques étaient justes, parfois les mêmes que celles faites par le maître d’armes de Victoria, qui accepta donc ses conseils comme étant légitimes. Bien vite, elles échangèrent les armes pour que la jeune femme prenne la plus longue. Si cela modifia quelque chose dans sa façon de faire, ce ne fut pas le cas pour Morgane qui était tout aussi à l’aise avec la plus courte.

         Victoria appréciait de plus en plus l’exercice, agréablement surprise de découvrir cette facette de la princesse. Elle aurait plutôt pensé qu’elle lui reprocherait de se promener seule, mais non, au contraire, elle lui disait comment se défendre.

« Je ne pensais pas que vous saviez vous battre, avoua Victoria.

— Si vous saviez, j’ai eu tout le temps d’apprendre et de me perfectionner.

        — Dites… Ce n’est pas le meilleur endroit pour s’entraîner », les interrompit Théodore comme des passants hésitaient à s’engager dans la rue en les voyant.

         Elles s’arrêtèrent, et Morgane leur fit un signe de la main pour signifier que tout allait bien. Victoria restait en alerte, attendant de reprendre l’entraînement.

         « On va s’arrêter là, décida Morgane en lui rendant son poignard. Si vous voulez, on peut reprendre plus tard. Demain matin, par exemple. »

         Elle sentit Victoria hésiter. Elle avait déjà un professeur. Mais elle était curieuse. Elle avait toujours été intimidée par la princesse, pensant que leurs caractères étaient trop différents. Mais en voyant son cours de natation, Morgane avait compris que c’était aussi l’instinct de la jeune femme qui la tenait à distance. Elle avait peur de l’eau. Et comme son père, elle sentait inconsciemment la nature de Morgane. Mais avec cet incident, elle la voyait sous un nouveau jour, et cela l’intriguait.

« Je ne sais pas, répondit-elle.

— Venez à la plage du palais. Je dirai aux gardes de vous laisser passer. »

        La jeune femme hocha la tête, mais sans confirmer. Puis elle essuya le poignard et le replaça dans la boîte.

« Voulez-vous qu’on vous accompagne ? proposa Morgane.

— Vous m’avez déjà assez aidée, merci beaucoup », sourit-elle.

Ils se saluèrent et elle reprit son chemin.

« Qu’est-ce que c’était que cette mise en scène ? demanda Théodore.

— Un premier pas vers ma solution. Je vais la détourner des opinions de son père. »

       Quelque chose de nouveau commençait entre elles. Depuis des années qu’elles se côtoyaient dans l’entourage du roi, c’était la première fois que Victoria lui souriait.

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